vendredi 17 janvier 2014

Oui, j'ai vu l'affliction de mon peuple



Ac 7, 30-34


Le texte (traduction : Bible de Jérusalem) :
30 « Au bout de quarante ans, un ange lui apparut au désert du mont Sinaï, dans la flamme d'un buisson en feu.
 31 Moïse était étonné à la vue de cette apparition. Comme il s'avançait pour mieux voir, la voix du Seigneur se fit entendre :
 32 ‘Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob’. Tout tremblant, Moïse n'osait regarder.
 33 Alors le Seigneur lui dit : ‘Ôte les sandales de tes pieds, car l'endroit où tu te tiens est une terre sainte.
 34 Oui, j'ai vu l'affliction de mon peuple en Égypte, j'ai entendu son gémissement et je suis descendu pour le délivrer. Viens donc, que je t'envoie en Égypte’ »

Prière (suggérée par Enzo Bianchi) :
« Notre Dieu, Père de la Lumière, tu as envoyé dans le monde ton Fils, Parole faite chair, pour te manifester à nous, les hommes.
Envoie maintenant sur moi ton Esprit Saint, afin que je puisse rencontrer Jésus-Christ dans cette Parole qui vient de toi ; afin que je la connaisse plus profondément et que, en la connaissant, je l’aime plus intensément pour parvenir ainsi à la béatitude du Royaume. Amen »

Lecture verset par verset :
L’extrait que nous lisons aujourd’hui appartient au discours qu’Etienne prononça devant ses frères et ses pères (Ac 7, 2). Il s’inscrit dans un procès, dont les actes d’accusation sont indiqués à la fin du chapitre 6 : « Nous l'avons entendu prononcer des paroles blasphématoires contre Moïse et contre Dieu… Cet individu ne cesse pas de tenir des propos contre ce saint Lieu et contre la Loi. Nous l'avons entendu dire que Jésus, ce Nazôréen, détruira ce Lieu-ci et changera les usages que Moïse nous a légués » (6, 11.13-14).
Par les paroles que nous allons lire en ce jour, Etienne répond à l’accusation de mépriser Moïse. Nous allons voir qu’il retrace au contraire les grandes lignes de sa vie et, en notre extrait, rapporte l’événement majeur de sa vocation, lorsque Dieu lui apparaît au buisson ardent (Exode 3).

v. 30 : « Au bout de quarante ans… »
Le chiffre, symbolique dans la Bible, peut couvrir plusieurs significations. Il peut indiquer le passage d’une génération ou un temps de maturation.
La vie de Moïse est traditionnellement scindée en trois tranches de 40 ans (« Quand il eut quarante ans accomplis, l'idée lui vint de se rendre parmi ses frères, les Israélites… Au bout de quarante ans, un ange lui apparut au désert du mont Sinaï, dans la flamme d'un buisson en feu… C'est lui qui les a fait sortir d'Égypte en opérant des prodiges et des signes au pays d'Égypte, à la mer Rouge et au désert pendant quarante ans » : Ac 7, 23.30.36). Cette durée de trois générations successives est le signe de bénédiction, de vie parfaite.

« un ange lui apparut au désert du mont Sinaï, dans la flamme d'un buisson en feu »
Nous avons déjà rencontré plusieurs apparitions d’anges dans le livre des Actes. C’est toujours une manifestation de la présence du Seigneur, tantôt Dieu libérateur d’un homme ou d’un groupe en difficultés (Ac 5, 19), tantôt Dieu porteur d’un message (cfr Ac 7, 38)…
Entre le Premier et le Second Testament, nous trouvons une continuité : Dieu ne cesse de maintenir le lien avec son peuple. Et il le fait encore aujourd’hui… Reconnaissons-nous ses anges sur nos chemins d’hommes ?

Le récit raconté par Etienne est une citation du chapitre 3 de l’Exode.
Il peut être instructif de comparer les textes : les différences sont toujours éclairantes…
Notons d’abord que le texte de l’Exode insiste davantage sur l’aspect prodigieux de ce buisson : « le buisson était embrasé mais le buisson ne se consumait pas » (Ex 3, 2) qui devient ici « dans la flamme d'un buisson en feu ». Il est digne d’intérêt de s’attarder sur cette image. Le feu est symbole de l’amour (« Car l'amour est fort comme la Mort, la passion inflexible comme le Shéol. Ses traits sont des traits de feu, une flamme de YHWH » : Ct 8, 6) : un amour puissant, mais qui ne détruit pas, ne dévore pas… Dieu nous aime, mais ne veut pas nous absorber ou nous anéantiser.
Et, dans la tradition rabbinique, le buisson d’épines figure l’homme et singulièrement l’homme opprimé. L’amour de Dieu, figuré par le feu, vient à sa rencontre…

Dans la citation des Actes, un élément capital est passé sous silence. C’est l’appel de Moïse : « Dieu l'appela du milieu du buisson. ‘Moïse, Moïse’, dit-il, et il répondit : ‘Me voici’ ». Nous sommes tous et toutes des appelé(e)s du Seigneur… Quels que soient notre statut, notre situation, notre vie, Dieu nous appelle, nous mandate, nous envoie.
Face au buisson ardent, Moïse fit la rencontre de Dieu, l’expérience de sa présence. En nos vies, Dieu se manifeste également… Serons-nous accueillant(e)s à sa manifestation ?

La suite du récit est assez fidèlement cité, mais les éléments sont intervertis[1].
Dans l’Exode, nous lisons : « Il dit : ‘N'approche pas d'ici, retire tes sandales de tes pieds car le lieu où tu te tiens est une terre sainte’. Et il dit : ‘Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob’ » (Ex 3, 5-6).
Et, dans les Actes : « ‘Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob’. Tout tremblant, Moïse n'osait regarder. Alors le Seigneur lui dit : ‘Ôte les sandales de tes pieds, car l'endroit où tu te tiens est une terre sainte’ ».
Dieu insiste sur une lignée (Abraham, Isaac, Jacob), sur une transmission de la bénédiction et de la protection. Nous aussi descendons de cette lignée : Dieu veut déposer en nous ses grâces et sa fécondité…

v. 33 : « Alors le Seigneur lui dit : ‘Ôte les sandales de tes pieds, car l'endroit où tu te tiens est une terre sainte’ »
Enlever ses sandales est un rite habituel de certaines religions ou spiritualités, pour exprimer notamment le respect.
Il peut aussi intensifier le contact, ôter tout intermédiaire entre les pieds et la terre.
Cette terre est sainte, car elle est le lieu de rencontre entre l’homme et son Dieu. Toute terre est sainte « là où l’homme se laisse toucher par la présence de YHWH et entre dans le service de l’Alliance ».
Et qu’en est-il des terres de nos vies, lieu de nos œuvres ? Nos rencontres sont-ils des lieux où nous pouvons ôter nos sandales, car lieux de théophanie, de manifestation de Dieu ?

v. 34 : « Oui, j'ai vu l'affliction de mon peuple en Égypte, j'ai entendu son gémissement et je suis descendu pour le délivrer… »
Voir, entendre, descendre… Dieu n’est ni aveugle, ni sourd, ni passif face au vécu de son peuple, à ses épreuves, à ses souffrances. Notre Dieu est un Dieu sauveur.
Face à son peuple opprimé en Egypte, Dieu a agi. Il veut le faire pareillement aujourd’hui.
Lui confions-nous notre vie, ses questions, ses difficultés… mais aussi ses joies, ses grâces, ses bonheurs ? Dieu ne veut pas être tenu loin de nous, loin de nos combats et de nos efforts. Il se veut solidaire.
Ajoutons que, si Dieu est un Dieu Sauveur, il ne l’est pas tout seul. Il a besoin de collaborateurs :

« Viens donc, que je t'envoie en Égypte »
Moïse est ici entraîné dans le projet de Dieu, dans son désir de salut pour son peuple.
Moïse était jadis en Egypte, mais l’avait fuie suite au meurtre de l’égyptien (Ex 2, 11-15)…
Il y est envoyé de nouveau : ce n’est pas un « retour », mais un nouveau départ, une mission.

Moïse fut collaborateur de Dieu pour sauver son peuple d’Egypte…
Et nous, nous sommes ses collaborateurs d’aujourd’hui vis-à-vis de nos frères et sœurs… Accepterons-nous cette mission, d’apporter un peu de joie, de bonheur, de liberté et de paix sur notre terre ?


Prière :
Tout au long de l’histoire de ton peuple, Seigneur, tu as montré combien tu étais proche et solidaire.
Aujourd’hui encore, tu ne cesses de nous montrer que tu vois, entends et descends pour délivrer. Nous t’en rendons grâces. Accorde-nous d’être de joyeux collaborateurs de ton œuvre de salut…
Amen

 Sr Marie-Jean


[1] Il est significatif qu’Étienne ne reprenne pas la révélation du Nom de Dieu, rapportée un peu plus loin, en Ex 3, 14 : « Dieu dit à Moïse : ‘Je suis celui qui est’. Et il dit : ‘Voici ce que tu diras aux Israélites : ‘Je suis’ m'a envoyé vers vous ». Dieu dit encore à Moïse : « Tu parleras ainsi aux Israélites : ‘Yahvé, le Dieu de vos pères, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob m'a envoyé vers vous. C'est mon nom pour toujours, c'est ainsi que l'on m'invoquera de génération en génération’ ».
Nous pouvons suggérer que le nom de Jésus, si souvent cité dans les Actes, prévaut sur celui du Dieu de la Première Alliance…

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